Le 21 février 2018, le Sénat a voté en faveur de la proposition de loi Gatel visant à encadrer davantage les écoles privées hors contrat. Le texte adopté par 240 voix contre 94 comporte diverses conséquences. S’il était définitivement adopté par les deux chambres françaises, il pourrait cependant encourir la censure du Conseil constitutionnel.
Un projet ancien
La proposition de loi déposée auprès de la chambre haute par la sénatrice Françoise Gatel s’inspire de projets plus anciens. Il y avait notamment eu un projet de loi de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale de François Hollande. Mais le texte, après adoption, avait été censuré par le Conseil constitutionnel (art. 14). En effet, il portait atteinte à la liberté d’enseignement, constitutionnellement garantie. À l’époque, en 2016, divers évêques de France ainsi que l’enseignement catholique (privé, mais généralement sous contrat simple ou d’association avec l’État) s’étaient opposés au projet de loi Égalité et citoyenneté :
De son côté, Thomas Lewin, chef de bureau au ministère de l’Éducation nationale sous Vallaud-Belkacem comme sous Blanquer, a affirmé dès le 23 novembre 2017 sur Facebook travailler « depuis des mois et des mois » sur « cette évolution de la législation ». Il était encore sur le devant de la scène le 13 février 2018 pour prendre le contrepied d’Anne Coffinier qui, à la tête de la Fondation pour l’école, défend la liberté scolaire des établissements dits « hors contrat ».
Une adoption facile au Sénat
Le mercredi 21 février, c’est une large majorité qui a voté en faveur de la proposition de loi Gatel. Il faut dire que le texte a été soutenu par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer. La sénatrice porteuse du projet est quant à elle membre de l’UDI. Son principal dessein semble être de lutter contre la radicalisation dans les écoles.
Pour l’instant, les réactions sont faibles. L’enseignement privé sous contrat n’a pas spécialement réagi. Seule la Fondation pour l’école a ouvertement critiqué le texte. C’est également le cas de la part de nombreuses associations se trouvant derrière des écoles hors contrat. Parmi les sénateurs, c’est peut-être Stéphane Ravier qui a le plus clairement pris la parole dans ce sens :
J'intervenais, tout à l'heure au Sénat, sur le sujet des établissements scolaires privés hors contrat, qui ont prouvé par leur diversité et leur spécificité qu'ils devaient être préservés. Il faut chérir la liberté d'enseignement, non la flétrir ! #DirectSénat pic.twitter.com/NUYXPrWI2O
— Stéphane Ravier (@Stephane_Ravier) February 21, 2018
Rappelons qu’actuellement 84 % des établissements privés hors contrat ouverts sont non confessionnels. La plupart adoptent des pédagogies alternatives de type Montessori. Les écoles musulmanes de ce type représentent moins de 0,5 % du total.
Le texte a été adopté par 240 voix. Seuls 94 sénateurs ont voté contre. Sur les 347 parlementaires présents, 13 se sont abstenus. Le 26 janvier 2017, le Conseil constitutionnel avait rendu sa décision censurant l’article 14 du projet de loi Vallaud-Belkacem. Ce dernier remettait en cause « la liberté constitutionnelle d’enseignement, indissociable de la liberté d’association ». La proposition Gatel pourrait subir le même sort, mais elle aura probablement été mieux rédigée grâce à cette expérience passée.
Les principales conséquences du texte
Si le Parlement devait adopter et l’exécutif promulguer ce texte, les conséquences en seraient diverses. La première est la limitation indirecte de l’enseignement privé sous contrat. En effet, les accords Lang-Cloupet de 1993 avaient fixé la part maximale de l’enseignement privé sous contrat à 20 % du total. Ce ratio explique en partie la floraison actuelle d’écoles indépendantes. Mais la population augmentant, cela permet proportionnellement l’essor de nouvelles écoles privées sous contrat. Mais chacun de ces établissements doit être d’abord hors contrat, pendant une durée de cinq années. En outre, des écoles sous contrat ont parfois des classes hors contrat.
Les ouvertures d’écoles hors contrat seront freinées par la multiplication des obstacles. Le maire aura deux mois au lieu de huit jours pour s’y opposer. Le recteur, le préfet et le procureur du lieu disposeront quant à eux de trois mois à la place d’un seul. De nouveaux motifs d’opposition sont créés, concernant également les programmes ou le nombre d’heures allouées à chaque discipline. L’enseignement hors contrat serait donc encore davantage calqué sur le modèle public. Des exigences accrues devraient rendre chaque ouverture plus coûteuse.
L’identité et les diplômes des enseignants devront être communiqués aux autorités publiques quatre mois avant l’ouverture. Le recrutement devra donc être bouclé très longtemps en amont. D’ailleurs, la liste exacte des pièces nécessaires pour ouvrir un nouvel établissement sera fixée par décret. Elle pourra ainsi varier d’un gouvernement à l’autre. Les sanctions pesant contre les établissements qui ne respecteraient pas la procédure complexifiée seront alourdies.
Cependant, il faut encore que l’Assemblée nationale adopte le texte, tout en pouvant y ajouter des amendements. En tout cas, la résistance de 1984 contre le projet Savary, la plus grande manifestation de l’histoire de France, ne semble pas être au rendez-vous. À l’époque, aux côtés de plus d’un million de manifestants, le maire de Bordeaux Jacques Chaban-Delmas avait fustigé « une société totalitaire dont [les Français] ne veulent pas ».