Ce dimanche, le Kazakhstan s’est rendu aux urnes afin de choisir son prochain président de la République pour le premier septennat présidentiel unique de son histoire. Avec plus de 80 % des voix, Kassym-Jomart Tokaïev a été largement reconduit à la tête de son pays. Mais si le score révèle le succès électoral et politique du chef de l’État, les chiffres de l’abstention révèlent une fracture sociologique entre les zones urbaines et les zones rurales.

Il faisait froid ce dimanche au Kazakhstan. Alors que le thermomètre affichait -12° dans la capitale Astana, les températures glaciales n’ont probablement pas été étrangères à la baisse de la participation observée par rapport aux précédents scrutins, organisés traditionnellement au printemps : avec 69,4 % de participation selon les autorités, c’est huit points de moins que le précédent scrutin, en 2019.

Des chiffres qui, à priori, n’obèrent pas la victoire électorale sans partage de Kassym-Jomart Tokaïev : le Président sortant à récolté 81 % des suffrages dans une élection où le chef de l’État avait réuni toutes les conditions pour réussir sa réélection. Après les violentes émeutes de janvier dernier, le retour au calme et la multiplication des annonces de réformes institutionnelles et démocratiques ont été l’occasion pour le chef de l’État de soigner sa popularité. Et en choisissant la date de l’élection présidentielle en novembre, deux mois après son annonce en octobre, l’ancien diplomate international a pris de cours les différents partis d’opposition.

Une position de force renforcée par le contexte international, où la ligne ferme face à la Russie dans sa guerre en Ukraine a permis au chef d’État kazakhstanais de soigner sa stature internationale auprès des électeurs.

Résultat : Kassym-Jomart Tokaïev est arrivé nettement en tête, loin, très loin devant ses cinq concurrents — pour la plupart issus de la société civile — récoltant tous entre 2 % et 4 % des voix. Une faible concurrence révélatrice de la fragile culture politique des partis d’opposition dans la jeune démocratie kazakhstanaise : peu de meetings, communication politique inexistante, candidats ternes… La campagne électorale s’est avérée peu mouvementée et n’a jamais véritablement bousculé le chef d’État kazakh.

Une victoire politique, une fracture sociologique

Ce dimanche, c’est donc 11 millions d’électeurs kazakhs qui se sont rendus dans les 10 000 bureaux de vote répartis dans tout le pays. Soucieux de séduire l’Occident, le Kazakhstan n’a pas lésiné sur les moyens pour rassurer les organisations internationales sur la bonne tenue du scrutin : 641 organisations ont été conviées pour surveiller et reconnaitre que le déroulement du vote s’était déroulé correctement, dont 10 institutions internationales — à l’instar de l’OSCE ou l’Organisation des États turciques — et avec la surveillance de 35 États et 254 journalistes étrangers.

Une organisation calibrée pour se conformer au maximum aux modèles démocratiques occidentaux, mais qui affronte déjà la grande faiblesse de ceux-ci : l’abstention. En effet, si dans les régions les plus rurales la participation bat des records, les habitants des grandes villes — en moyenne plus riches et plus jeunes — se sont nettement moins rendus aux urnes.

Alors que dans les régions agricoles du Turkestan, de Karaganda, de Pavlodar, de Zhambyl ou d’Abay la participation avoisine les 80 %, celle-ci peine à dépasser les 60 % à Chimkent, gravite autour de 50 % à Astana et ne dépasse pas les 30 % à Almaty.

Symptôme d’une société kazakhstanaise qui se fragmente et dont les émeutes de janvier 2022 furent peut-être un signal. Un double Kazakhstan semble se dessiner sous l’effet de la forte croissance économique du pays, avec une classe moyenne confortablement installée dans les villes, ultra connectée, bénéficiant d’un pouvoir d’achat et d’un mode de vie aux standards occidentaux tandis que les zones rurales bénéficient certes du développement des infrastructures (routes, chemin de fer), mais pas encore des retombées sur le marché de l’emploi et sur le pouvoir d’achat.

Et si le Président sortant a fait un « carton plein » dans les zones rurales, c’est peut-être précisément parce que ce dernier, dans son discours de septembre 2022 qui équivalait à son annonce de programme politique, n’a eu de cesse de promettre une dynamisation de la vie économique et une meilleure répartition des richesses. Un positionnement politique qui en fait implicitement le candidat du Kazakhstan en difficulté face au Kazakhstan plus prospère et qui explique certainement en partie le paysage électoral du pays au lendemain du scrutin.

Reste désormais un défi au chef de l’État : que sa politique économique à grand renfort de libéralisation du marché et de la lutte contre les monopoles et la corruption puisse colmater cette brèche naissante dans la société kazakhstanaise.

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Eva, journaliste avec 15 ans d’expérience dans des médias prestigieux comme Masa Journey et Upsider, est diplômée de l’Université de Tel Aviv et de la Sorbonne. Elle apporte un regard aiguisé sur les sujets d’actualité, enrichissant chaque article d’analyses captivantes. Contact : [email protected].

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