ls sont l’image d’Épinal de la fortune des oligarques russes. Les yachts, ces géants des mers particulièrement prisés par les plus grandes fortunes de Russie, ont été l’objet de toutes les attentions occidentales depuis l’invasion de l’Ukraine. Relativement aisés à saisir, ils sont au cœur de la politique de sanctions occidentales. Tour d’horizon.
Une vingtaine de yachts saisis
C’est un joli pactole pour Gibraltar. Axioma, le yacht de l’un des magnats de l’acier russe sous sanction occidentale, Dimitri Pumpianski, a été vendu par l’enclave britannique pour la coquette somme de 37,5 millions d’euros, dont une partie a cependant servi à rembourser la banque américaine JP Morgan, qui avait accordé un prêt à l’homme d’affaires. Cette saisie s’ajoute à la liste qui s’allonge des bateaux privés russes confisqués par les pays occidentaux.
Le premier d’entre eux est l’Amore Vero, le premier yacht saisi en France, sur le port de la Ciotat, dans la nuit du 2 au 3 mars, dont la valeur est estimée à 120 millions de dollars et propriété d’Igor Setchine, patron de Rosneft, le tout-puissant fer-de-lance russe de la production pétrolière. Est ensuite venu le « modeste » Rahil, propriété d’Arkadi Rotenberg, immobilisé à Marseille, dont la valeur est fixée à 75 millions de dollars. Puis les deux frères, La Petite Ours et La Grande Ours, tous deux propriétés d’Alexeï Kouzmitchev, un milliardaire très actif dans le milieu de la banque et des hydrocarbures. Mais l’une des plus belles prises des Occidentaux est sans doute le Dilbar, un mastodonte de 156 mètres acheté 800 millions de dollars par Alicher Ousmanov, l’un des grands pontes de l’industrie métallurgique russe, confisqué à Hambourg début mars. En avril, c’est le Flying Fox, un très luxueux bâtiment doté d’un héliport et de plusieurs piscines, au coût de 400 millions de dollars, qui a été confisqué à son propriétaire, Dmitry Kamenshchik, directeur de l’aéroport Moscou-Domodedov, à Saint-Domingue. Quant au Luna, considéré comme le deuxième plus grand yacht d’expédition du monde, dont la valeur est estimée à 300 millions de dollars, il est précieusement conservé par les autorités allemandes à Hambourg.
En tout et pour tout, entre la fin du mois de février et le mois de septembre, 20 yachts, tous propriétés d’oligarques russes ont été saisis et immobilisés par les autorités occidentales. S’ils accusent le plus souvent le coup, les oligarques se rebiffent parfois contre les sanctions. Récemment, le milliardaire russe Alexeï Kouzmitchev a indiqué saisir la justice pour récupérer ses deux yachts, toujours immobilisés à Antibes et Cannes. Une procédure qui n’a que peu de chances d’aboutir cependant.
Des yachts majoritairement immatriculés dans des paradis fiscaux
Les yachts des milliardaires russes bénéficient d’un régime particulier. « Techniquement parlant, ces yachts sont enregistrés comme des véhicules à usage spécial, et se trouvent souvent dans une juridiction différente de celle du propriétaire réel », souligne pour Forbes Sam Tucker, responsable des superyachts chez VesselsValue, qui précise qu’il « existe également des systèmes de location, qui éloignent encore plus le [propriétaire] de l’actif ». Ils sont, dans la plupart des cas, détenus dans des sociétés offshores immatriculées dans l’île de Man ou aux Caïmans. Cette-dernière est d’ailleurs l’une des destinations les plus prisées et compte notamment le Galactica Super Nova de Vaguit Alekperov, le Lady M et le Nord d’Alexeï Mordachov, le Clio d’Oleg Deripaska, le Dream d’Alexander Frolov, le My Sky d’Igor Kesaev ou encore le Quantum Blue de Sergeï Galitsky. Autant de bâtiments enregistrés dans un territoire peu regardant sur les propriétaires des yachts et surtout aptes à garantir le secret des affaires.
Les Iles Caïmans ont ainsi souvent été au cœur des stratégies d’évitement fiscal des grandes fortunes russes. Une réputation qui a forcé le territoire britannique d’outre-mer à revoir ses fondamentaux et renoncer à certains de ses principes. Ainsi, fin 2021, un tribunal des Caïmans a autorisé deux sociétés koweitiennes, l’autorité portuaire du Koweït et l’institution publique de sécurité sociale a engagé des poursuites contre les dirigeants de Port Fund Marsha Lazareva, une citoyenne américaine née en Russie, et Saeed Dashti, accusés d’avoir détourné des dizaines de millions d’euros de Port Fund. Une nette rupture dans la doctrine du secret des affaires aux Iles Caïmans, qui avaient d’ailleurs été retirées de la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne en octobre 2020. L’Ile de Man aussi, autre destination privilégiée des oligarques russes, a accompli de notables progrès en matière de transparence, notamment sous la pression de la Couronne britannique, dont le souverain reste Seigneur de Man. Mais le territoire conserve malgré tout son sens de l’accueil pour les yachts et jets privés étrangers, l’ile en accueillant respectivement 320 et 440. Depuis le début du conflit, l’île a radié près de 25 jets et plus de 40 yachts de ses registres, appartenant tous à des oligarques russes sanctionnés.
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