Alors que l’affichage du Nutri-Score sur les produits alimentaires est entré en vigueur en France depuis 2016 et pourrait devenir obligatoire d’ici 2022, ses opposants se font de plus en plus nombreux. D’après ces derniers, ce système d’étiquetage pourrait redéfinir le principe même de qualité, au profit des industriels mais au détriment des produits traditionnels français.
Plus de cinq ans après sa création, le Nutri-Score pourrait devenir obligatoire en 2022. Une perspective qui ne fait pas que des heureux. Ce système d’étiquetage nutritionnel sur cinq niveaux (de A à E), établi en fonction de la valeur nutritionnelle d’un produit alimentaire, souffrirait de nombreuses failles.
Levée de bouclier AOP
Le ministre de l’Agriculture français, Julien Denormandie, a appelé, en octobre 2021 à l’Assemblée nationale, « à revoir la méthodologie » dudit système, afin qu’il soit adopté à l’échelle européenne et qu’il ne pénalise pas les produits français, dont les fromages AOP, face à la concurrence. Et ce, au nom du respect des filières, mais aussi des traditions gastronomiques françaises, et plus particulièrement des fromages comme le Roquefort, classés généralement entre D et E.
L’avis des producteurs de certains fromages AOP est, en revanche, nettement plus tranché. Notamment ceux de Roquefort, en Aveyron, qui sont vent debout contre cet étiquetage et réclament d’en être exemptés. Même son de cloche du côté des producteurs de Maroilles (noté D) et des fromages AOP d’Auvergne, comme le Saint-Nectaire (noté D), tenus à un cahier des charges très strict, gage de la qualité de leurs produits. Ces producteurs se voient donc pénalisés face à des industriels et des enseignes de restauration rapide, qui peuvent changer leurs recettes à l’envi, jusqu’à obtenir de bons Nutri-Scores. En septembre 2021 par exemple, KFC se targuait dans un communiqué que « 70 % des produits de la gamme permanente de KFC France obtiennent un Nutri-Score compris entre A et C ».
Une méthodologie de plus en plus contestée
Autre limite méthodologique soulevée : le Nutri-Score ne renseigne aucunement les additifs, comme l’expliquait l’association de défense des consommateurs UFC Que Choisir. Pour le cas de McDonalds par exemple : « Il est vrai que la liste n’est pas appétissante ! Elle est truffée d’additifs parmi lesquels certains seraient à exclure : du colorant caramel (classé “à éviter” dans l’évaluation des additifs réalisée par Que Choisir), des esters mono- et diacétyltartriques ou du polysorbate 80 (classés “peu recommandables”) ». Or, ces données ne sont disponibles que sur les sites des filiales américaine et allemande. De quoi nuancer les valeurs qu’obtiennent certains grands classiques de l’enseigne au clown, comme le Big Mac et le Royal Deluxe, tous deux notés C.
Concrètement, les producteurs de fromages AOP craignent que le Nutri-Score soit un critère de choix qui induise en erreur les consommateurs. Et les données de l’Institut des ressources industrielles (IRi) leur donnent raison. Les ventes des produits notés A augmentent de 0,5%, celles des B de 0,4 %, quand celles des C et des D baissent respectivement de 1,7 % et 2,4%. Rappelons également que les produits classés D et E ont interdiction de faire de la publicité.
Arnaud Daguin, ancien chef étoilé, expert en stratégie alimentaire, est monté au créneau dernièrement dans une tribune pour Libération. De son point de vue, « personne ne peut dire à quiconque ce qu’il doit manger ou pas, ce qui est bon ou mauvais pour lui. » La solution selon lui, serait d’éduquer et d’apporter de la nuance. Les opposants au Nutri-Score reprochent en effet à la méthode de calcul de ne pas insister sur une nécessaire modération et sur les avantages d’une alimentation équilibrée à base de produits pas ou peu transformés. Les fromages AOP par exemple sont source de calcium, de vitamines et de minéraux, indispensables à une alimentation équilibrée. Cette approche permettrait de marquer une différence plus juste entre un Coca Cola light ultra-transformé noté B et un fromage AOP noté E.
Exempter les produits AOP, une fausse bonne idée
C’est ce paradoxe que combattent les opposants comme Massimo Giansanti, président de la fédération italienne des agriculteurs, Confagricoltura, et vice-président de la Copa européenne : « Si nous en arrivons à dire que les aliments transformés sont meilleurs que les aliments naturels, alors nous devrions tous y réfléchir à deux fois ». Pour répondre à ce problème, l’Italie a mis en place un système concurrent. Le 19 janvier 2021, les lignes directrices pour la mise en œuvre à l’échelle nationale de ce système, Nutrinform Battery, ont été publiées. Même combat en Espagne, où l’association des appellations d’origine contrôlée, Origen España, souhaite faire adopter la plate-forme d’étiquetage italienne, « plus conforme à la réalité ».
Quelles issues possibles ?
De son côté, l’équipe de recherche derrière Nutri-Score plaide en faveur d’une mise à jour de l’étiquette mentionnant si l’aliment est ultra-transformé ou non. « La composition nutritionnelle et l’ultra-transformation sont deux dimensions sanitaires des aliments, susceptibles d’influencer indépendamment le risque de maladies chroniques à travers différents mécanismes spécifiques et complémentaires », a justifié Serge Hercberg, le concepteur du Nutri-Score au magazine en ligne OliveOilTimes. Les autorités sanitaires évalueront cette nouvelle proposition.
L’autre solution pourrait être d’abandonner cet étiquetage qui repose sur une méthode scientifique de plus en plus contestée, ou de le remplacer. C’est la position que tient… la France, à en croire le ministre de l’Agriculture italien, Stefano Patuanelli, qui a déclaré que le gouvernement français réfléchissait à la possibilité de ne pas soutenir l’étiquette Nutri-Score comme nouveau système d’étiquetage des aliments à l’échelle de l’UE.
En attendant, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a lancé une consultation publique sur la création d’une étiquette paneuropéenne que la Commission pourrait adopter d’ici la fin de 2022. Passera ? Passera pas ? Une chose est sûre, il n’a jamais été aussi difficile de savoir si l’on se nourrit correctement.