Depuis la prise de pouvoir par les talibans, l’Afghanistan traverse une crise humanitaire sans précédent, qui risque même de plonger plus de la moitié de la population dans la famine. Face à cette situation, les partenaires d’hier entendent maintenir une main tendue sans toutefois transiger sur les droits de l’Homme, quand d’autres préconisent un soutien immédiat et décorrélé des considérations politiques ou diplomatiques.
Reconnaître ou ne pas reconnaître le nouveau gouvernement taliban en Afghanistan : tel est le dilemme auquel sont confrontés les pays qui entretenaient des liens commerciaux ou diplomatiques avec Kaboul. Parmi ces États, la Russie a officiellement « ouvert la voie vers la reconnaissance » du nouvel exécutif afghan lors d’un sommet organisé le 20 octobre à Moscou. L’état-major américain a eu un échange avec les talibans au Qatar le 12 octobre, en présence de représentants de l’Union européenne. C’est aussi le cas de la Turquie, qui a reçu une délégation talibane le 14 octobre. Si les talibans ne ménagent pas leurs efforts pour être reconnus par un maximum d’États – ils ont d’ailleurs demandés à être entendus lors de l’Assemblée générale des nations unies en septembre –, c’est parce que le budget public de l’Afghanistan, avant leur prise de pouvoir, dépendait aux trois-quarts des fonds internationaux en provenance des États-Unis, de l’Union européenne et du FMI. À ce jour, près de 10 milliards de dollars appartenant à la Banque centrale afghane sont ainsi bloqués par les partenaires d’hier.
Le chantage humanitaire pour une reconnaissance politique
Privés de cette manne financière, les habitants sont les premiers à subir les conséquences de la rupture des relations diplomatiques, qui s’est rapidement muée en crise humanitaire. L’insécurité alimentaire pousse des familles à vendre leurs enfants, et plus de la moitié de la population (20 millions de personnes sur les 38 millions que compte l’Afghanistan) est désormais menacée par une famine massive, selon les estimations du FMI et de l’ONU. Alors que l’hiver devrait aggraver encore davantage la situation humanitaire dans ce pays aux très hauts sommets, un chantage qui ne dit pas son nom s’est installé entre les talibans et la communauté internationale : restituer les fonds afghans ou laisser une partie de la population mourir de faim ou de froid. Si la Chine et la Russie plaident pour la première solution, les dirigeants occidentaux refusent pour le moment d’accéder à cette demande, qui reviendrait à reconnaître de facto le régime taliban comme légitime. De cette manière, ils entendent maintenir la pression sur Kaboul afin de « conserver des leviers susceptibles de contraindre les nouveaux maîtres de l’Afghanistan à des concessions sur le statut des femmes, l’inclusion de minorités ethniques, ou encore la lutte contre les groupuscules terroristes toujours présents dans le pays », explique la rédaction du Monde dans une tribune.
Kazakhstan, États-Unis et UE : une aide humanitaire sans condition
Le bras de fer engagé depuis la mi-août « place la population afghane à la merci d’un affrontement dont elle est l’otage, tout particulièrement les femmes, très exposées à l’insécurité alimentaire », rappellent les auteurs de la tribune, qui concluent que « la politisation de l’aide humanitaire doit être évitée ». En effet, certains acteurs humanitaires préconisent un soutien rapide de la communauté internationale et décorrélé de considérations politiques ou diplomatiques. Les pays de la région l’ont bien compris, à l’image du Kazakhstan, qui depuis le retrait américain a rapidement décidé d’apporter une aide humanitaire et logistique. « En ce moment historique fatidique, le peuple multinational de l’Afghanistan ne doit pas être laissé seul face à des défis sans précédent » a déclaré à ce propos le président du pays Kassym-Jomart Tokayev. La métropole d’Almaty a ainsi accepté d’héberger la Mission d’assistance des Nations-Unies en Afghanistan (MANUA) et ses 261 employés, qui étaient basés à Kaboul, et de créer un couloir humanitaire pour les femmes juges et membres du parlement afghan, ainsi que leurs familles. Le Kazakhstan a également envoyé 28 conteneurs (4000 tonnes) de farine à destination de la population afghane et prévoit d’acheminer prochainement 42 conteneurs supplémentaires.
Astana s’est toujours efforcé de suivre une voie diplomatique neutre et d’exercer un rôle de médiateur dans la région. A cet égard, certains experts appellent les États-Unis à faire des États d’Asie centrale « un centre de recherche d’un équilibre stable des pouvoirs » plutôt qu’une « arène de gladiateurs entre grandes puissances » (Russie, Chine, UE etc.). En attendant, Washington et l’Union européenne ont promis d’allouer une aide financière d’urgence, respectivement de 144 millions de dollars et d’un milliard d’euros. La Chine a, quant à elle, annoncé vouloir aider à hauteur de 19 millions de dollars, mais en échange d’une « hausse des exportations chinoises ». Pékin n’est pas la seule à envisager une reprise des affaires avec l’Afghanistan. L’Ouzbékistan et le Turkménistan continuent, eux aussi, d’entretenir des liens commerciaux avec le voisin afghan, mais à un rythme plus lent et plus irrégulier qu’auparavant. Celui des talibans.