Le géant français du luxe vient de faire plusieurs annonces tendant à démontrer son engagement contre le racisme ou en faveur de l’environnement. Problème, les récentes actions du groupe présidé par François-Henri Pinault plaident en sa défaveur et réduisent ses prises de positions à de purs effets d’annonce.
Surfer sur la vague… Alors que le monde entier vibre à l’unisson du mouvement #BlackLivesMatter, relancé au lendemain du meurtre de l’Afro-américain George Floyd par un policier blanc, certaines grandes marques semblent avoir vu dans ce tragique événement l’occasion de soigner leur image. Kering, l’un des principaux groupes de luxe au monde – la multinationale française compte en son sein de prestigieuses enseignes, comme Gucci, Saint Laurent ou Balenciaga –, s’est ainsi senti obligé de se joindre au concert de déclarations de bonnes intentions déferlant sur le Web, et ce alors que les images de pillages de boutiques américaines de luxe faisaient le tour des réseaux sociaux.
Des nominations spectaculaires
« Le combat pour l’égalité a coûté trop de vies à la communauté noire américaine. Nous ne resterons pas silencieux », a ainsi déclaré le groupe présidé par le milliardaire français François-Henri Pinault. Dans un communiqué dans lequel l’entreprise annonce le versement de deux donations – sans en préciser le montant – au profit d’associations américaines luttant contre le racisme et les violences policières, Kering se prononce ainsi en faveur « d’actions concrètes, parce que les mots ne suffisent pas ». Et le groupe de luxe de rappeler qu’il a créé à cet effet, en 2019 au sein de sa marque phare Gucci, un poste de directeur monde en charge de la diversité, de l’équité et de l’inclusivité – sans que l’on sache si ce geste a été suivi de quelconques effets concrets.
Kering, dont l’assemblée générale annuelle avait lieu le 16 juin, vient par ailleurs d’annoncer la nomination de plusieurs personnalités au sein de son conseil d’administration. Y siègent désormais l’actrice britannique Emma Watson, connue pour son rôle dans la saga Hary Potter et ses divers engagements en faveur de l’environnement, d’une mode éthique et des droits des femmes ; l’homme d’affaires franco-ivoirien Tidjane Thiam, ancien directeur général du Crédit Suisse, banque où son passage a été entaché d’un scandale d’espionnage interne ; et la Chinoise Jean Liu, présidente de la plateforme Didi Chuxing, l’équivalent chinois de Uber.
Quand Gucci provoque la colère de la communauté afro-américaine
Une militante adulée par les Millennials, des représentants du continent africain et de la Chine – premier gisement de croissance de l’industrie du luxe : en businessman accompli, François-Henri Pinault, qui estime que « la multiplicité de leurs parcours de leurs points de vue seront des apports inestimables aux réflexions du conseil d’administration » de Kering, soigne sa com’. C’est que son groupe revient de loin en matière de valeurs et d’image de marque. En février 2019, Gucci, véritable fleuron de la multinationale du luxe, très populaire auprès des jeunes, avait en effet défrayé la chronique et choqué la toile, en commercialisant une très étrange création, au goût plus que douteux : un pull noir dont le col roulé, une fois relevé sur le visage, dévoilait l’empreinte d’une bouche écarlate aux dimensions disproportionnées.
La référence au tristement célèbre « Blackface », cette caricature à connotation raciste, était trop évidente pour ne pas être relevée. Proposé à 800 euros en plein « Mois de l’histoire des Noirs », le vêtement a immédiatement déclenché une avalanche de critiques outrées, de nombreux internautes et personnalités appelant au boycott pur et simple de la griffe italienne. Le rappeur américain 50 Cents a même été jusqu’à diffuser une vidéo de lui-même mettant ostensiblement le feu à un T-Shirt siglé Gucci, appelant ses millions de fans à se détourner de la marque. Face au tollé, Gucci s’est résolu à retirer l’article incriminé de la vente, se confondant en excuses et protestant de son attachement historique à la « valeur fondamentale » qu’est, selon l’entreprise, la diversité – un peu trop tard cependant, le mal étant irrémédiablement fait.
François-henri pinault, le spécialiste du greenwashing et des effets d’annonce
Ce n’est pas la première fois, hélas, que François-Henri Pinault et son groupe s’enlisent dans de fumeuses opérations de communication, qui tiennent davantage de l’effet d’annonce que de véritables convictions. En 2019 toujours, le patron de Kering avait très officiellement été missionné par Emmanuel Macron pour réfléchir à la manière dont le secteur de la mode, l’un des plus polluants au monde – il est responsable de 10% des émissions de carbone, 20% des rejets d’eau usée, 35% de ceux de microplastiques dans les océans et 22% des pesticides utilisés – pouvait réduire son impact sur l’environnement. Après plusieurs semaines de réflexion, le fils de François Pinault a accouché d’un « Fashion Pact » aussi consensuel que vain, les engagements compris dans le document n’étant pas contraignants.
« Une énième poudre aux yeux », pour l’ONG Greenpeace, créant « une situation de conflit d’intérêt évidente » ; « une façon de se donner bonne conscience », pour Thomas Ebélé, confondateur de SloWeAre, une plateforme de mode éco-responsable ; bref, une simple opération de greenwashing pour un groupe dont l’engagement environnemental des marques Gucci ou Saint Laurent est noté « Pas assez bien » par l’application Good On You – application dont le visage est, comble de l’ironie, la nouvelle administratrice de Kering, Emma Watson en personne – et dont la véritable pionnière de la mode éthique et durable, Stella McCartney, partie depuis chez LVMH, a préféré claquer la porte. On la comprend.