Qu’est-ce que le revenu de base ? Qui soutient son instauration ? Que propose chaque partie ? Ce revenu inconditionnel pose de nombreuses questions et attire de plus en plus de monde… On fait le point sur le cas français.
Plus le temps passe et plus le sujet intéresse, suscite des critiques, des analyses et des questions. Et pour cause, un revenu distribué indépendamment de la situation de chacun et sans condition de revenu ne laisse pas de marbre, au point d’avoir engendré un référendum en Suisse, largement rejeté . À l’heure où la technologie pose la question de la disparition de nombreux emplois , du développement croissant des métiers en freelance et de la fin annoncée du salariat, la question d’une aide sociale inconditionnelle distribuée à tous représente une solution séduisante pour assurer un revenu à chacun et éviter la pauvreté de masse.
Cependant, les choses ne sont pas si simples : un monde où le salariat serait l’exception et non la règle et la technologie aurait remplacé la majeure partie des emplois existants n’est pas encore totalement arrivé. Outre les questions économiques et financières que soulève le revenu de base, c’est aussi un modèle de société qui est proposé et qui remet en question celui dans lequel nous vivons. Et il sera difficile pour les partisans du revenu de base de changer notre modèle, malgré un long processus de réflexion remontant à la fin du XVIIIe siècle.
L’origine du revenu de base
L’idée d’un revenu attribué à tous remonte loin dans le passé. La première occurrence date de 1796, dans le livre Agrarian Justice de Thomas Paine , un Américain s’inspirant des thèses de Rousseau. Encore loin d’un revenu de base stricto sensu, il posait néanmoins une première pierre dans ce domaine : donner à chaque homme et femme une pension de retraite dès 50 ans sans autre condition que l’âge.
Son idée sera ensuite reprise et étendue par des intellectuels européens qui défendront une application plus large de sa proposition. Elle naquit dans un contexte particulier : le triomphe des idées libérales en Europe et en Amérique, dont le droit à la propriété privée. Plusieurs penseurs libéraux de l’époque étaient d’ardents défenseurs au droit à la propriété privée et à son caractère inaliénable. Mais ils étaient aussi conscients que ce droit pouvait conduire à une exclusion des ressources naturelles de ceux qui ne sont pas propriétaires. C’est alors que l’idée d’un revenu de base inconditionnel, pensé afin de compenser l’exclusion dont souffrirait une partie de la population, émerge.
En constant développement, l’idée ne cessa pas de séduire et donnera naissance en 1920 au concept de « dividende social ». Clifford Hugh Douglas, un économiste britannique, en est le fondateur. Sa proposition repose sur plusieurs éléments : évaluer la croissance annuelle, créer de la monnaie proportionnellement à cette croissance et la redistribuer à tous les citoyens situés dans la zone monétaire. L’idée reste cependant dans la lignée des économistes libéraux et tombera en désuétude avec la montée en puissance du socialisme et du communisme.
Crédit photo: Pixabay
Délaissé pendant longtemps, le revenu de base fait un retour en force
L’expansion des idées socialistes et communistes au début de XXe siècle conduira à l’instauration de mesures sociales diversifiées, le revenu de base universel d’inspiration libéral sombrant quant à lui dans l’oubli. Mais l’idée fit son retour dans le paysage économique et politique dès les années 80. Les économistes français Yoland Bresson et Henri Guitton fondèrent en 1985 l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence , marquant en France le retour du débat autour du revenu de base. En 1986, Yoland Bresson créa avec Philippe Van Parijs, le Basic Income European – puis Earth – Network, le plus important réseau mondial de chercheurs sur le sujet. Le retour du débat autour du revenu de base a créé depuis deux principales positions . La première est l’approche libérale héritière de la pensée de Paine. La seconde est davantage ancrée dans une logique interventionniste d’inspiration marxiste.
L’approche libérale préconise qu’aucune autre aide sociale ne doit subsister en dehors du revenu de base. Les libéraux sont généralement des défenseurs d’un Etat minimaliste qui ne se préoccupe que des missions régaliennes. Mais ils concèdent l’imperfection de l’économie et marché et l’Etat peut donc apporter une unique aide en distribuant un revenu modéré à chacun pour empêcher l’extrême pauvreté. Il aurait par ailleurs la vertu de fluidifier le marché du travail et d’inciter à la prise de risque en créant des entreprises. Problème, une seule aide sociale distribuée à tous sans distinction et sans services publics gratuits comme l’éducation placerait une grande partie de la population dans une situation de pauvreté au lieu de l’empêcher et rendrait inaccessible certains besoins jugés fondamentaux.
L’approche étatiste est en revanche plus radicale : le revenu de base n’est pas l’unique aide sociale et ne doit pas l’être. Affirmant que la condition de chacun est différente, le revenu de base serait qu’un socle commun sur lequel peut s’ajouter des aides complémentaires pour compenser certaines difficultés (handicap, maladie, vieillesse, etc.). Bien qu’ouvert à l’hypothèse d’une refonte intégrale des aides sociales pour être en cohérence avec le revenu de base, ils réfutent la suppression de certaines missions de l’Etat comme l’éducation, la culture ou encore la santé publique. Le défi majeur pour ce courant est de trouver des moyens de financement suffisants à ce projet qui serait extrêmement coûteux pour les plus critiques. Il est également accusé d’engendrer de la paresse selon les libéraux et d’inciter à abandonner les emplois les moins intéressants.
Depuis, ces deux approchent s’affrontent ardemment sur la façon d’appliquer le revenu de base. Mais les deux s’accordent à dire que la protection sociale actuelle, la complexité administrative et l’économie contemporaine souffrent de lourdes imperfections à corriger pour s’adapter aux enjeux futurs.
Le 4 octobre 2013, 334.463 euros ont été déversés à Berne devant le Parlement à l’occasion d’une demande d’un référendum pour instituer en Suisse un revenu minimum pour tous – Crédit photo: Wikimedia – Stefan Bohrer
Un modèle de société à changer ?
Au-delà de la guerre des idées, le revenu de base pousse parfois bien plus loin la réflexion en reconsidérant certains aspects de notre société. Le travail demeure plus que jamais le centre des préoccupations de chacun, car il est à la fois un élément intégrateur puissant dans notre société mais aussi une sorte de métronome qui rythme la vie d’une majorité de personnes. Dans un contexte de chômage élevé, de croissance difficile et d’automatisation d’un nombre croissant d’activités, beaucoup craignent la fin de leurs emplois à brève ou moyenne échéance.
Or le revenu de base va a contrario de cette logique du rôle intégrateur du travail. Nombre de ses défenseurs avancent que si l’on instaure cette aide, des emplois seront libérés par des personnes cherchant à faire autre chose de leur vie en se consacrant à la vie associative, aux arts, à la philosophie, la politique ou à la recherche scientifique. Des rôles qui ne sont pas toujours rétribués à la hauteur de leur importance économique, sociale et culturelle et qui, une fois le revenu de base instauré, souffriraient moins des impératifs économiques. Poussée encore plus loin, certains suggèrent un droit à la paresse, en affirmant que la vie ne peut pas être rythmée principalement par le travail. Cette logique affirme que le travail, bien qu’utile et nécessaire dans une certaine proportion, ne doit plus être la norme d’organisation des sociétés contemporaines, surtout quand il est source de nombreux maux comme les maladies professionnelles ou d’un important chômage en période de crise et qu’il constitue parfois une forme de cypto-esclavagisme, surtout lors des périodes de sous-emploi qui conduisent à une baisse des salaires.
Ces idées demeurent évidemment minoritaires, tant notre vie est organisée autour du travail et en dépit d’indicateur conduisant à penser que le travail salarié deviendra l’exception. Les pays développés observent depuis des dizaines d’années une diminution constante du temps de travail, alors que dans le même temps, la productivité n’a eu de cesse d’augmenter grâce à des compétences accrues et à la technologie. Ces deux tendances révèlent qu’un salarié travaille certes moins dans le temps mais bien plus en volume. L’abaissement du temps de travail décidé par les Etats est d’ailleurs symptomatique d’une situation où la productivité est si élevée qu’il devient nécessaire de partager l’emploi pour maintenir le chômage à un niveau supportable.
Quel montant du revenu universel envisager ?
La Fondation Jean-Jaurès a proposé fin mai 2016 trois scénarios visant à la mise en place du revenu de base:
– 500 euros par mois : proche de l’actuel revenu de solidarité active (RSA).
– 750 euros par mois : cumul RSA + allocations familiales et logement.
– 1000 euros par mois : l’équivalent du seuil de pauvreté.
Mais la solution de réduire le temps de travail, fusse-t-elle efficace pour partager le travail et réduire le chômage, ne saurait être une solution sur le long terme pour faire face à la diminution des emplois. Une tendance que des défenseurs du revenu de base exploitent pour souligner l’importance d’établir cette aide sociale et de repenser la société dans laquelle nous vivons, au point que les milieux politiques commencent à préconiser son instauration pour parer à l’éventualité d’une situation de chômage de masse conduisant à la pauvreté.
Si l’on peut être sceptique sur l’instauration du revenu de base, la situation économique, social et technologique pousse néanmoins à repenser l’organisation de notre société et de ses institutions. Et quelque soit le camp choisi, son application semble être sur la bonne voie, des sondages présentant une tendance favorable en France en passant de 45% d’opinion favorable des sondés en 2012 à 60% en 2015.
Le débat sur le revenu universel en France devrait d’ailleurs animer la campagne présidentielle de 2017. Mi-mai, le Premier ministre Manuels Valls affirmait que « le revenu universel [est] une idée qu’il faut mettre dans le débat public ».
Dans quels pays le revenu de base a-t-il été appliqué ou est en cours d’expérimentation ?
En 1976, l’Alaska a mis en place un fond souverain dont le capital est basé sur les revenus miniers et pétroliers de l’État, et dont les revenus alimentent depuis 1982 un dividende universel versé le 30 juin de chaque année. Aujourd’hui menacé par une partie de la classe politique, le montant versé a été de 2072 $ en 2015, un record.
La ville d’Utrecht, aux Pays-Bas, ainsi que 19 autres municipalités néerlandaises, testent depuis janvier 2016 la mise en place d’un revenu de base, offrant près de 900 euros par mois à une partie de leurs habitants.
La Finlande expérimente actuellement le revenu de base et l’institution gérant les aides sociales en Finlande, doit faire des propositions d’ici novembre 2016. Le gouvernement espère verser un revenu de base de 800 euros par mois à un échantillon de sa population à partir de 2017.
La liste des pays n’est pas exhaustive. Certains pays comme l’Inde, le Royaume-Uni et Singapour, ont eux aussi tenté des expériences autour du revenu de base. Mais l’idée n’est pas la même qu’en Finlande.
Crédit photo principale : Petr Kratochvil
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