Agriculture durable, mobilité durable, finance durable… toute la société se met à l’heure « durable », et le BTP n’est pas en reste, la plupart de ses entreprises ayant compris qu’elles ne pouvaient plus se contenter de simplement « couler du béton ». Eiffage, l’une des « majors » du secteur, a même pris les devants en donnant pour priorité à sa R&D (recherche et développement) de trouver des applications concrètes à cet impératif sociétal.
Le secteur du bâtiment et des travaux publics est loin de l’image que l’on peut s’en faire habituellement : un simple spécialiste du « coulage de béton » et de la démolition, peu préoccupé par l’écologie ou l’environnement. S’il est vrai que les émissions de gaz à effet de serre (GES) du BTP (1) restent élevées, les grands groupes ont mobilisé leur capacité créative pour proposer des solutions toujours plus innovantes, durables et écoresponsables.
Le groupe français Eiffage, l’une des « majors » du secteur, a mis en place plusieurs laboratoires et groupes d’études, ces dernières années, pour développer des solutions, des procédés et des techniques permettant, notamment, de réduire l’impact environnemental de ses activités. En voici un aperçu.
Décarboner la route, un défi grandeur nature
À Ciry-Salsogne, dans l’Aisne, l’un des plus importants laboratoires d’Eiffage tente de trouver des solutions à l’épineux problème de la décarbonation de la route. Le laboratoire a mis au point plusieurs innovations qui permettraient de réduire sensiblement l’impact carbone et la consommation d’énergie et de matériaux des infrastructures routières.
La technologie Recytal ARM (2) en fait partie. Le procédé consiste à retraiter les chaussées en mauvais état pour les régénérer grâce à une émulsion végétale issue de la sylviculture. L’ancien bitume est entièrement recyclé et l’opération permet de réduire de 70 % les émissions de GES par rapport à un retraitement classique. Cette économie est permise grâce à une machine-usine unique en son genre, nommée « Atelier de retraitement mobile » (ARM), qui réalise l’intégralité de l’opération sur la route elle-même. « Un kilomètre de Recytal ARM, ce sont 80 camions évités sur les routes », ajoute Hervé Dumont (3), directeur technique routes chez Eiffage. Une économie d’énergie et de ressources à tous les niveaux.
Du côté des matériaux, le laboratoire de Ciry-Salsogne a mis au point un enrobé tiède, intitulé Biophalt, confectionné à partir d’un liant végétal lui aussi issu de la sylviculture française. Le produit présente un taux de recyclage supérieur à 30 % et sa faible température de fabrication permet de réduire considérablement l’énergie utilisée. Le matériau a d’ailleurs été récompensé par le Comité Innovation Routes et Rue (CIRR) en 2019, cet organisme ayant en particulier salué la méthode de production innovante de l’enrobé, qui favorise l’économie locale et circulaire.
Le procédé Recytal ARM et le liant biosourcé Biophalt font tous deux parties du projet « I-Street », conduit en partenariat avec Total et l’université Gustave-Eiffel. Parmi les autres inventions mises au point dans le cadre de cette collaboration, on trouve le dispositif Luciole : un éclairage public « intelligent » qui s’adapte au trafic en réduisant la luminosité lorsque les routes ne sont pas fréquentées. Luciole permet donc de réduire la consommation d’électricité dans les agglomérations sans pour autant lésiner sur la sécurité routière.
Bien entendu, ces nouvelles solutions n’ont pas vocation à se cantonner aux laboratoires et doivent être mises en œuvre pour limiter le plus rapidement possible l’empreinte carbone du secteur du BTP. Luciole est par exemple d’ores et déjà utilisée par la municipalité de Limoges, et le procédé Recytal ARM a été utilisé en Vendée (4) pour régénérer des routes départementales ainsi que sur le chantier Route Centre-Europe Atlantique (RCEA, future autoroute A79).
Le laboratoire de Ciry-Salsogne s’est récemment agrandi pour accueillir de nouveaux chercheurs afin d’étendre ses activités. Ses nouveaux champs de recherche porteront sur le bas carbone en général ainsi que sur le recyclage.
Carasol révolutionne l’analyse des déblais
Sur le chantier de la ligne 16-1 du Grand Paris Express (GPE), Eiffage Génie Civil a dû affronter deux défis particulièrement contraignants : valoriser à 70 % les déblais excavés par les tunneliers et réduire, le plus possible, les emprises de surface où seraient stockés ces déblais. « Pour déterminer la composition chimique des déblais permettant de les orienter vers le bon exutoire, il faut faire des prélèvements pour des tests », détaille Pascal Hamet (5), directeur du projet du lot 1 de la Ligne 16 chez Eiffage Infrastructure. « Jusqu’à présent, obtenir les résultats de ces tests nécessitait une semaine d’attente. Ce délai aurait été beaucoup trop long par rapport aux superficies d’emprises dont nous disposons sur ce type de chantier ». En effet, la semaine d’attente nécessitait au préalable de stocker les déblais avant de les évacuer. Or, avec les 16 kilomètres de tunnels à creuser sur le lot 16-1 du GPE, Eiffage Génie Civil faisait face à 4500 tonnes de terres excavées (6) chaque jour. Soit, en une semaine, quelque 20000 tonnes de matériaux à stocker, sur un terrain aménagé à cet effet, avec les mouvements de poids lourds pour la dépose et l’enlèvement, dorénavant épargnés aux riverains.
L’idée est donc née de créer un nouvel outil capable de réaliser ces analyses beaucoup plus rapidement que les techniques traditionnelles. Après deux ans de travail en collaboration avec le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Eiffage est parvenue à mettre sur pied un dispositif innovant intitulé Carasol, se présentant sous la forme de laboratoires pouvant être installés directement sur les chantiers. Les résultats sont délivrés entre 90 et 120 minutes, ce qui permet aux équipes de terrain de savoir immédiatement si les matériaux peuvent être recyclés et revalorisés ou s’ils doivent être expédiés vers une déchetterie finale, en fonction des éventuels polluants présents dans les déblais.
Par sa rapidité d’exécution, Carasol permet donc de réduire fortement les emprises de surface ainsi que les émissions carbone des processus d’identification traditionnels : transport des déblais vers un site de stockage le temps de leur analyse, distribution vers leur lieu de réemploi… « Cela constitue un réel avantage en tissu urbain dense, où les emprises de chantier sont souvent assez exiguës », estime Pascal Hamet. En plus du lot 16-1, Carasol est également utilisé sur le chantier de l’autoroute E18, en Norvège, et devrait être progressivement étendu à tous les autres chantiers du GPE.
Comme on le voit avec Carasol ou avec le projet « I-Street », Eiffage mise fortement sur la coopération avec des partenaires académiques ou industriels en matière de R&D. Cette philosophie se retrouve également en interne, puisque la major française a lancé plusieurs solutions pour faire « remonter » les idées et favoriser la créativité de ses collaborateurs.
Une boîte à idées pour faire émerger les solutions du futur
Pour favoriser une saine émulation entre les salariés du groupe et la R&D maison, Eiffage a mis en place une boîte à idées sous la forme d’une application mobile, intitulée « Start.box » (7). Concrètement, tous les salariés du groupe sont en mesure de proposer leurs idées et de discuter de celles proposées par leurs collègues. Le groupe français s’est engagé à mettre en œuvre les propositions les plus prometteuses en leur dédiant des financements spécifiques.
Cette plateforme collaborative et circulaire entre en résonance avec une stratégie plus large de la major française : susciter l’inventivité auprès de toutes ses parties prenantes. C’est cette philosophie qui a commandé à la création du club industriel Sekoya (8), fondé en collaboration avec Impulse Partners, un incubateur spécialisé dans l’innovation en matière de construction. Sekoya est une plateforme regroupant des acteurs publics et privés ainsi que des partenaires académiques et vise à favoriser l’émergence de nouvelles solutions bas carbone. 14 jeunes pousses ont d’ores et déjà été récompensées dans le cadre d’appels à solutions bas carbone lancés par la plateforme. Parmi elles, on retrouve la startup bordelaise Airbooster, lauréate de l’édition 2021, qui a développé un bardage à enveloppe métallique permettant de récupérer la chaleur et le chauffage d’un bâtiment, sur le même mode de fonctionnement qu’un radiateur géant.
Ces différentes initiatives collaboratives donnent et donneront du pain sur la planche aux différents laboratoires d’Eiffage, dont celui de Ciry-Salsogne que nous avons évoqué précédemment, mais aussi celui de Corbas (Auvergne-Rhône-Alpes), dans lequel le groupe français a récemment investi plusieurs millions d’euros pour doper ses activités de recherche. Une somme qui devrait aider les laborantins, les chercheurs et les ingénieurs de la major à inventer le BTP écologique d’aujourd’hui et de demain.
Sources :
- https://www.ecologie.gouv.fr/construction-et-performance-environnementale-du-batiment
- https://www.construction21.org/france/infrastructure/h/recytal-arm-rehabilitation-de-la-route-departementale-670-en-gironde-a-l-aide-de-ressources-biosourcees-et-renouvelables.html
- https://www.batiactu.com/edito/hauts-france-dans-son-laboratoire-eiffage-trace-route-58788.php
- https://app.eiffage.com/content/recytal-arm-d-ploy-en-vend-e
- https://www.sensemaking.fr/Une-histoire-d-ingenieurs-dans-les-entrailles-de-l-Ile-de-France_a439.html
- https://www.sensemaking.fr/Une-histoire-d-ingenieurs-dans-les-entrailles-de-l-Ile-de-France_a439.html
- https://www.lemoniteur.fr/article/chez-eiffage-l-innovation-devient-l-affaire-de-tous.1973004
- https://cdurable.info/Sekoya-un-club-industriel-en-pointe-dans-les-innovations-bas-carbone.html