En Corée du Sud, le célibat est devenu un véritable sujet de société au point que la très sérieuse université Sejong propose désormais des cours enseignant la séduction et la vie de couple. Il faut dire que les relations entre les deux sexes sont particulièrement compliquées au « pays du matin calme ».
Apprendre à aimer
À Séoul, l’université de Sejong propose un cours intitulé « Genre et culture ». Contrairement à ce que son intitulé peut porter à croire, celui-ci est loin des « Gender studies » à la mode en occident : il s’agit pour les étudiants d’en apprendre plus sur l’amour, le sexe, et l’art des rendez-vous galants. Au programme : des leçons sur les zones érogènes, sur l’orgasme ou encore sur la psychologie de la sexualité, entre autres.
Le cours connaît un franc succès, en particulier grâce à son programme de rencontres, dans lequel les étudiants sont jumelés au hasard à des partenaires du sexe opposé pour des rendez-vous de quatre heures. Une bonne occasion de découvrir sans pression les bases de la séduction, mais aussi d’apprendre que l’on peut s’amuser sans dépenser : les apprentis galants sont en effet un budget limité à 10 000 won (soit 7,50 €) par rendez-vous. Une sacrée économie, quand on sait que les Coréens dépendent en moyenne 64 000 won lors d’une première rencontre — soit 8 heures de travail au salaire minimum sud-coréen.
Une leçon qui est loin d’être anecdotique : dans ce pays où la majorité des 20-44 ans sont célibataires, une étude d’Embrain a mis en lumière le fait que 81 % des Coréens considèrent les dépenses liées aux « dates » comme une source de stress dans les relations homme-femme. La moitié des personnes interrogées vont même jusqu’à affirmer que s’ils rencontraient l’âme sœur, ils n’entreraient dans une relation que si leur situation économique était favorable.
Or, l’an dernier, le taux de chômage global en Corée du Sud a atteint 3,8 % — son plus haut niveau en 17 ans — et 10,8 % chez les 15-29 ans. Dans un sondage réalisé par JobKorea, seulement un étudiant diplômé cette année sur dix a trouvé un emploi à temps plein. Par ailleurs, en raison de la nature hautement compétitive du marché du travail coréen, de nombreux jeunes passent leur temps libre dans des écoles préparatoires afin d’obtenir des diplômes ou des compétences professionnelles leur permettant de se démarquer de leurs concurrents.
Ce contexte anxiogène aboutit au fait que de nombreux jeunes sud-coréens affirment qu’ils n’ont ni le temps, ni l’argent, ni la capacité émotionnelle d’assumer un rendez-vous galant et évitent donc délibérément les relations amoureuses.
Une histoire de masculinité toxique
Néanmoins, l’argent n’est pas le seul problème auquel sont confrontés les étudiants du cours « Genre et culture » : ceux-ci évoquent souvent des reportages auxquels ils ont pu assiste portant sur les crimes sexuels, le voyeurisme et la discrimination sexuelle — des problématiques qui sont toutes devenues des enjeux de société majeurs en Corée du Sud.
Selon les données officielles de la police coréenne, 32 000 cas de violence sexuelle ont été signalés en 2017, contre 16 000 en 2008, avec une forte augmentation des violences conjugales. Entre 2016 et 2018, le nombre de Coréennes agressées par leur partenaire a plus que doublé.
Par ailleurs, les femmes qui ont des partenaires non violents ne sont pas à l’abri de se faire filmer dans leur intimité à leur insu. Ces derniers mois, un scandale majeur impliquant plusieurs stars de K-Pop a ainsi montré à quel point ce comportement est répandu : le chanteur Jung Joon-young a été arrêté en mars pour avoir filmé sans leur consentement des femmes lors de rapports sexuels, puis partagé les vidéos en ligne. Un triste phénomène de société, puisque plus de 6 400 cas similaires ont été signalés à la police coréenne en 2017.
Malheureusement, il s’agit là de symptômes d’un mal profond : la Corée du Sud est depuis longtemps en proie à une culture imprégnée de masculinité toxique, dont les effets sont aggravés par une éducation sexuelle qui se limite le plus souvent chez les hommes à la pornographie et sa vision violente et dégradante des rapports avec le « sexe faible ».
Une vision problématique des rapports entre les femmes et les hommes qui s’est par exemple exprimée dans l’histoire récente de la Corée — et qui continue à avoir des répercussions de nos jours – avec la situation tragique des Lai Dai Han. Il s’agit d’enfants nés des viols massifs de femmes et filles vietnamiennes par des soldats sud-coréens au cours de la guerre du Vietnam, conflit lors duquel 320 000 militaires de l’armée de Séoul ont épaulé les soldats américains. Huit cents de ces femmes sont toujours en vie et leurs enfants issus de ces noces barbares — dont le nom signifie littéralement « de sang mêlé » – sont au nombre de 5000 à 3000. Mères et enfants sont encore aujourd’hui victimes au quotidien d’ostracisme, d’exclusion économique et sociale, de marginalisation. Néanmoins, Séoul a toujours refusé de reconnaître sa responsabilité, a fortiori de présenter ses excuses officielles aux victimes de ces crimes de guerre sexuels. En 2013, le ministre de la Défense sud-coréen a même été jusqu’à affirmer que « vu que notre armée a exécuté sa mission sous des règles strictes, il n’y a eu aucune exploitation sexuelle de femmes vietnamiennes ».
Au Pays du Matin calme, le chemin est donc encore long pour apaiser les blessures du passé et prévenir celles du futur. Le combat pour l’égalité, la dignité et la sécurité des femmes ne fait que commencer !