La « tension de Hubble » : une expansion de l’Univers à plusieurs vitesses
Depuis plusieurs décennies, les scientifiques observent des disparités dans le taux d’expansion de l’Univers, un phénomène connu sous le nom de « tension de Hubble ». Selon cette hypothèse, les mesures de l’expansion de l’Univers, réalisées à partir de différentes méthodes, offrent des résultats contradictoires, remettant en cause notre compréhension de la cosmologie. Cette tension, détectée pour la première fois par le télescope Hubble en 2019, a pris un tournant décisif en 2023 lorsque le télescope spatial James Webb (JWST) a confirmé ces écarts avec une précision inédite.
Le constat est désormais indéniable : l’Univers s’étend à des vitesses qui diffèrent en fonction de l’endroit et de la manière dont on le mesure. Cette découverte, selon les astrophysiciens, pourrait amener à repenser radicalement les fondements de la cosmologie. Comme l’a souligné Adam Riess, co-lauréat du prix Nobel et auteur principal de l’étude, cette contradiction fondamentale est bien réelle et ne peut plus être attribuée à une erreur de mesure.
Les deux méthodes d’estimation de la constante de Hubble
Pour évaluer l’expansion de l’Univers, les astrophysiciens se basent sur la « constante de Hubble », dont la valeur permet de décrire cette expansion. Deux méthodes dites de référence, ou « gold standard », permettent de calculer cette constante, mais elles donnent des résultats qui ne concordent pas. D’un côté, l’analyse du fond diffus cosmologique (ou CMB pour « Cosmic Microwave Background ») fournit une valeur de 67 kilomètres par seconde par mégaparsec (km/s/Mpc). De l’autre, l’observation de certaines étoiles variables, appelées céphéides, révèle un chiffre bien supérieur, atteignant environ 74 km/s/Mpc.
Ces écarts de valeurs créent une rupture au cœur de la cosmologie : si le taux d’expansion de l’Univers diffère selon la méthode utilisée, cela pourrait indiquer que notre modèle actuel de l’Univers, basé sur des constantes universelles, est incomplet, voire incorrect.
Les fluctuations du fond diffus cosmologique (CMB) et la première méthode de mesure
La première méthode repose sur l’analyse des fluctuations du fond diffus cosmologique, une « empreinte » du rayonnement émis environ 380 000 ans après le Big Bang. Ces fluctuations ont été cartographiées entre 2009 et 2013 par le satellite Planck de l’Agence spatiale européenne. En analysant cette « lumière fossile », les scientifiques ont estimé un taux d’expansion de l’Univers de 67 km/s/Mpc, qui représente un modèle plus stable de l’expansion de l’Univers sur le long terme.
La précision du satellite Planck a permis aux chercheurs de raffiner cette méthode, mais ce résultat reste bien inférieur aux valeurs obtenues par les observations directes de galaxies plus proches. Les astrophysiciens estiment que cette mesure historique du CMB reflète l’expansion de l’Univers jeune, tandis que d’autres méthodes révèlent des changements dans le taux d’expansion au fil du temps.
Les étoiles céphéides et le « cosmic distance ladder »
La deuxième méthode s’appuie sur les étoiles céphéides, des astres pulsants dont la luminosité varie de manière régulière en raison des changements de température et de taille de leurs couches de gaz externes. Ces variations permettent de calculer la distance entre ces étoiles et la Terre en créant ce que les chercheurs appellent « l’échelle de distance cosmique ». En suivant cette échelle de distance, les astrophysiciens peuvent mesurer l’expansion de l’Univers plus proche et obtenir une constante de Hubble bien plus élevée, avoisinant 74 km/s/Mpc.
Les données issues des céphéides indiquent un taux d’expansion de l’Univers très supérieur à celui calculé par le CMB, créant un fossé entre ces deux estimations. Ce phénomène, aujourd’hui désigné par le terme « tension de Hubble », soulève des questions profondes sur la cohérence de notre modèle cosmologique.
Les efforts conjoints de Hubble et de James Webb pour lever les incertitudes
Au départ, certains astrophysiciens pensaient que cette tension pouvait être liée à des erreurs de mesure provenant de la proximité apparente des céphéides avec d’autres étoiles, brouillant ainsi les calculs. Mais en 2023, le James Webb a permis de confirmer ces résultats, écartant toute ambiguïté liée à une potentielle superposition d’étoiles. En analysant plus de 1 000 céphéides dans cinq galaxies lointaines, l’équipe de chercheurs a pu réaffirmer, avec une haute précision, les calculs de Hubble. Ce travail commun des deux télescopes valide sans appel la présence d’une réelle contradiction.
- Le télescope Hubble est à l’origine de la détection de la tension de Hubble en 2019.
- Le télescope James Webb, avec une capacité d’observation plus précise, a permis de confirmer cette tension en 2023.
Les implications pour la cosmologie : une crise inévitable
La confirmation de cette disparité persistante dans les mesures de l’expansion de l’Univers a de lourdes conséquences pour la cosmologie. En qualifiant cette situation de « crise », David Gross, astrophysicien lauréat du prix Nobel, a rappelé en 2019 qu’il ne s’agit plus d’une simple divergence ou d’une tension, mais bien d’une anomalie fondamentale qui pourrait bouleverser nos théories. Ce mystère suggère que certains aspects de l’Univers, comme l’énergie noire et les interactions fondamentales, pourraient fonctionner différemment de ce que prévoient les modèles établis.
Certains chercheurs envisagent déjà des solutions radicales, allant de l’ajout de nouvelles composantes théoriques à l’hypothèse de l’existence d’ »unparticles », des particules exotiques qui pourraient perturber la structure même de l’espace-temps.
Vers une nouvelle ère de découvertes scientifiques
La persistance de la tension de Hubble invite donc à repenser les bases de la physique moderne. Les prochaines étapes pour les chercheurs consisteront à approfondir les études sur l’énergie noire, à tester de nouveaux modèles théoriques, et à analyser des régions de l’Univers jusqu’alors inaccessibles.
Le télescope James Webb continue de nous surprendre, élargissant chaque jour un peu plus notre horizon cosmique. Tandis que l’Univers dévoile lentement ses mystères, cette tension de Hubble nous rappelle que de grandes découvertes restent encore à venir, laissant entrevoir une possible réécriture de l’histoire de la cosmologie.
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