L’impact de Tchernobyl sur l’environnement
L’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en avril 1986 a provoqué l’une des plus grandes catastrophes environnementales du XXe siècle. Des nuages radioactifs contenant du césium-137, de l’iodine-131 et d’autres substances dangereuses ont été dispersés non seulement à travers l’Europe, mais également jusqu’en Amérique du Nord. Cette contamination a laissé des traces visibles et invisibles dans la région entourant la centrale, et les effets écologiques sont encore observés des décennies plus tard.
Les 2 600 km² de la zone d’exclusion autour de la centrale ont été évacués et fermés à la population humaine. Pourtant, la faune locale a continué à y vivre, avec des conséquences potentiellement dévastatrices. La région, bien qu’abandonnée par les humains, est devenue un foyer d’étude pour les biologistes et les généticiens, notamment en ce qui concerne les mutations génétiques induites par l’exposition prolongée aux radiations.
Études sur les animaux irradiés : les souris et les chiens
Jusqu’à récemment, les scientifiques avaient principalement étudié les effets des radiations sur les petits animaux, comme les souris, qui se reproduisent rapidement et permettent d’observer des mutations en quelques générations. Mais qu’en est-il des plus gros mammifères, comme les chiens errants qui parcourent encore les environs de Tchernobyl ?
Une équipe de chercheurs menée par Timothy Mousseau et Elaine Ostrander a entrepris une étude de grande ampleur sur les chiens vivant dans la zone d’exclusion de Tchernobyl. Ces animaux, laissés à eux-mêmes depuis 1986, ont formé des meutes et ont survécu dans cet environnement hostile, exposés à des niveaux de radiation extraordinairement élevés.
La collecte des échantillons génétiques
L’étude a débuté en 2017 avec la collecte de 301 échantillons sanguins provenant de trois populations distinctes de chiens errants. Ces populations vivaient à des distances différentes de l’épicentre de l’explosion : près de la centrale elle-même, à 15 km dans la ville de Tchernobyl et à 45 km dans la ville de Slavoutytch. Cette répartition géographique a permis aux chercheurs de comparer les effets des radiations selon la proximité avec la source radioactive.
Cette collecte de données a été rendue possible malgré les tentatives initiales, après la catastrophe, de contrôler la population animale par des abattages massifs. Une partie des animaux a néanmoins survécu, formant des groupes de plus en plus autonomes.
Les premiers résultats de l’étude : des mutations génétiques identifiées
Les analyses ont révélé des différences significatives entre les trois populations étudiées. Plus les chiens vivent près de l’ancienne centrale, plus ils sont marqués par des traces de contamination radioactive. Leurs organismes présentent des dépôts de césium-137, une substance hautement toxique, à des niveaux jusqu’à 200 fois supérieurs à ceux des chiens vivant plus loin. Ces concentrations extrêmes de radioéléments illustrent l’impact direct des radiations sur ces animaux.
Mais ce n’est pas tout. En plus de ces signes physiques de contamination, l’étude a révélé des différences génétiques marquées entre les trois populations de chiens. Celles-ci sont non seulement différentes des chiens errants trouvés ailleurs dans le monde, mais également entre elles. Ces résultats surprenants soulèvent la question des mutations provoquées par l’exposition aux radiations sur plusieurs générations.
Des meutes génétiquement distinctes
Les chiens vivant dans l’épicentre de la catastrophe, ceux résidant à Tchernobyl et ceux habitant Slavoutytch forment trois groupes distincts sur le plan génétique. Malgré leur proximité géographique, les chiens ne se mélangent que très peu, et des différences génétiques notables sont apparues, probablement en raison de l’exposition inégale aux radiations.
Ces résultats ont permis aux scientifiques de commencer à identifier des mutations spécifiques chez ces chiens, mutations qui pourraient être liées à leur capacité à survivre dans un environnement aussi hostile. Les chercheurs s’interrogent maintenant sur le rôle que pourraient jouer ces modifications génétiques dans la résistance des chiens aux effets toxiques des radiations.
Les chiens mutants de Tchernobyl : une opportunité unique pour la recherche
Pour les scientifiques, ces chiens errants offrent une opportunité rare d’étudier l’évolution en temps réel dans un environnement mutagène. Selon Christophe Hitte, expert en génétique canine, ces populations isolées et exposées aux radiations fournissent un “matériel de choix” pour les généticiens cherchant à comprendre comment les organismes peuvent s’adapter à des conditions extrêmes.
Les chercheurs vont ainsi pouvoir étudier des aspects spécifiques tels que la capacité de ces chiens à réparer leur ADN endommagé, un mécanisme clé dans leur survie prolongée. Il est possible que les chiens vivant dans cette région aient développé des systèmes de réparation plus efficaces, leur permettant de résister aux dommages causés par les radiations.
Les perspectives pour l’avenir
L’étude menée à Tchernobyl n’est que le début d’un vaste chantier scientifique. Les chercheurs espèrent pouvoir poursuivre leurs investigations sur plusieurs années encore, afin de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la résistance de ces animaux à l’exposition chronique aux radiations. Cela pourrait avoir des implications non seulement pour la biologie évolutive, mais également pour la médecine, en offrant des pistes sur la façon dont les êtres vivants peuvent tolérer des environnements fortement radioactifs.
- Trois populations de chiens étudiées : près de la centrale, à 15 km et à 45 km.
- Des niveaux de césium-137 jusqu’à 200 fois plus élevés chez les chiens vivant près de la centrale.
- Des mutations génétiques notables, avec des différences entre les trois groupes de chiens.
- Une opportunité unique d’étudier l’évolution dans un environnement mutagène.
Cette étude offre ainsi une fenêtre sur l’évolution de la vie dans un environnement contaminé. Les travaux des scientifiques vont se poursuivre pour tenter de comprendre l’étendue des mutations génétiques et la manière dont ces chiens, véritables survivants, se sont adaptés à un environnement aussi hostile.