L’organisation polonaise, fondée en 2009 par l’activiste ukrainienne Lyudmyla Kozlovska pour la défense des droits humains en Asie centrale, serait en partie financée par l’oligarque kazakh Mukhtar Ablyazov et, selon une enquête, soutenue par les services secrets russes, ce qui a le don d’agacer certains députés européens. 

Droits humains, défense des animaux, protection de l’environnement… et réputation personnelle ? Les ONG (organisations non gouvernementales), créées la plupart du temps par des groupes de citoyens et/ou des associations, œuvrent pour une cause qu’elles considèrent comme juste et ne demandent, en retour, pas grand-chose, puisqu’elles ne recherchent pas le profit – économique, du moins. Certaines ONG, en revanche, affichent un intérêt légèrement plus prononcé, quoique souterrain, masqué par une mission d’intérêt général qui offre une devanture parfaite à la défense de tel ou tel sulfureux personnage. L’ONG polonaise Open Dialog Foundation (ODF) en est un parfait exemple.

Association de malfaiteurs

Fondée en 2009 à Varsovie, ODF est enregistrée l’année suivante par Lyudmyla Kozlovska, une ressortissante ukrainienne originaire de Sébastopol (Crimée) et militante pour les droits civiques depuis sa tendre enfance. L’idée de l’ONG lui vient en 2008, après qu’elle a organisé en Pologne un forum sur les droits humains en Asie centrale, avec des militants venus du Kazakhstan, d’Ouzbékistan et du Kirghizistan. Sa rencontre avec le député européen Andrzej Grzyb, qui l’invite au Parlement européen afin d’évoquer les droits humains en Asie centrale, est fondatrice, puisqu’elle créera ODF l’année suivante. Et parmi les futurs combats de l’ONG, celui pour la libération des prisonniers politiques après l’invasion de la Crimée par la Russie, en 2014, notamment. Sauf qu’une enquête parlementaire moldave menée en 2018 prétend qu’il existe des liens entre l’ODF et le FSB, c’est-à-dire les services de sécurité russes. Selon le rapport des députés, Lyudmyla Kozlovska serait liée à des techniques spécifiques de blanchiment qui sont le propre des services secrets…

Il se pourrait en fait que derrière ses atours humanistes, ODF révèle un visage beaucoup plus trouble, à la faveur d’une nouvelle controverse qui ne devrait pas tarder à éclater, éclaboussant l’ONG ainsi que certaines figures extérieures. Bartosz Kramek, membre du conseil d’administration d’ODF, a été arrêté le 23 juin 2021 par les autorités polonaises, qui le soupçonnent d’avoir détourné et blanchi quelque 5 millions de zlotys (1,1 million d’euros), une accusation démentie par son épouse, qui n’est autre que la patronne de l’ONG, Lyudmila Kozlowska elle-même. Selon cette dernière, il ne s’agit là que d’une persécution politique de la part du gouvernement polonais, qui n’aurait pas goûté leurs critiques vis-à-vis du parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS, droite).

Influence d’Open Dialog Foundation au sein de l’UE

Ce n’est pourtant pas la première fois que le couple, et l’ONG donc, sont soupçonnés de « faciliter » les transferts d’argent douteux. Récemment, le Sunday Times soulignait que Lyudmila Kozlowska aurait même utilisé deux sociétés écossaises pour blanchir de l’argent, via une ONG qu’elle dirigeait, afin « de financer une campagne de lobbying secrète au nom de deux oligarques criminels d’Europe de l’Est » : Veaceslav Platon, homme d’affaires moldave emprisonné en 2017 pour blanchiment d’argent et fraude – à son tableau de chasse : la disparition de près d’un milliard de dollars du système bancaire moldave, source d’une grande crise politique dans le pays – ; Mukhtar Ablyazov, un oligarque kazakh qui, comme Platon, a revêtu la toge de grand argentier d’ODF, et se trouve au cœur de la plus grande affaire de fraude que la Haute Cour de justice britannique ait jamais connue.

Au sein du Parlement européen, l’un des trois piliers législatifs du système européen où Lyudmila Kozlowska a ses entrées – elle possède le statut officiel de lobbyiste auprès des institutions de l’Union européenne -, ODF commence d’ailleurs à s’attirer les ressentiments de certains députés, moyennement satisfaits de voir une organisation aussi trouble influer sur le cours de la vie politique européenne. En mars 2021, Ian Liddel-Grainger, le chef de file du groupe des conservateurs à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et député britannique, dénonçait par exemple l’«accès sans précédent» aux rouages législatifs dont jouissait ODF, dont la présidente, rappelait-il également, placée sur la liste rouge d’Interpol par la Pologne, est interdite d’entrée dans l’espace Schengen.

De son côté, l’homme politique allemand et député européen Maximilian Krah a récemment dénoncé, lui aussi, l’influence d’ODF au sein de l’UE. Au cours d’une séance plénière, il est notamment revenu sur la question du financement de l’ONG, assuré en partie par Moukhtar Abliazov, dont l’enrichissement proviendrait de détournements en tout genre pour lesquels il a déjà été condamné au Kazakhstan, en Russie, en Ukraine et au Royaume-Uni. En France, où il venait d’obtenir le statut de réfugié politique, il a été arrêté le 5 octobre 2020 et mis en examen pour « abus de confiance aggravé » et « blanchiment aggravé ». Selon le député européen, la façade humaniste de l’ODF servirait à masquer une activité moins avouable : une entreprise de sape du gouvernement kazakh.

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Eva, journaliste avec 15 ans d’expérience dans des médias prestigieux comme Masa Journey et Upsider, est diplômée de l’Université de Tel Aviv et de la Sorbonne. Elle apporte un regard aiguisé sur les sujets d’actualité, enrichissant chaque article d’analyses captivantes. Contact : [email protected].

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